Frank Horvat

Lorsque l’on évoque Frank Horvat une photographie vient immédiatement à l’esprit. Une image en noir et blanc, intitulée Givenchy Hat B, Jardin des Modes, Paris, 1958, prise à l’hippodrome de Longchamp et qui montre un mannequin suprêmement élégant entourée de messieurs en hauts-de-forme gris dont les regards sont dissimulés par les jumelles au moyen desquelles ils sont sensés suivre une course de chevaux. Très chic, incontestablement, et ne manquant pas d’humour.  Si c’est l’image la plus connue – au point de lui être devenue pénible – cette photo est l’arbre qui cache la forêt. Car s’il a marqué par sa liberté de ton et sa capacité à mettre en scène, en précurseur, la couture dans des scènes de vie quotidienne, il ne saurait être qualifié de « photographe de mode ». Frank Horvat, obsédé d’une certaine manière par la photographie a, toute sa vie, été photographe. Sans qualificatif mais avec passion. 

Né en 1928 en Italie de parents médecins, juifs et originaires d’Europe Centrale, Frank Horvat vit successivement en Suisse, en Italie, au Pakistan, en Inde, en Angleterre et en France, où il s’installe à la fin des années 1950, tout en se rendant régulièrement aux États-Unis et en voyageant souvent en Europe, dans les Amériques et en Asie. Lui qui prit ses premières photographies en Italie dans une tonalité humaniste fut définitivement marqué par sa rencontre, à Paris, avec Henri Cartier-Bresson qui le convainquit d’adopter le Leica et de partir pour l’Inde.

 A partir du milieu des années soixante, alors que la crise de la presse frappe – déjà – les photographes, il s’essaie, sans grand succès, à la vidéo, à l’illustration au cinéma. On voit bien là ce qui sera le fondement de tout son parcours : un questionnement de la nature de la photographie, des enjeux autour des images, de la nécessité de la recherche et d’une obligatoire prise de risques. C’est ainsi que le voyageur se passe à lui-même des commandes qui deviendront des livres de référence, qu’il explore sans cesse la couleur et ses possibles, qu’il est un des tout premiers à mettre à profit les possibilités offertes par le numérique pour illustrer Les métamorphoses d’Ovide ou inventer un étonnant Bestiaire. Dès les années quatre-vingt-dix, en précurseur là encore.

Au milieu des années quatre-vingt, affecté par une maladie occulaire, il se met à l’écriture et réalise des entretiens avec des photographes qu’il aime (dont Édouard Boubat, Robert Doisneau, Mario Giacomelli, Josef Koudelka, Don McCullin, Sarah Moon, Helmut Newton, Marc Riboud, Jeanloup Sieff et Joel-Peter Witkin). II préparait une nouvelle édition, enrichie de nouveaux dialogues de ce livre, « Entre vues ».

Rétif à toute étiquette, si ce n’est celle de photographe, il s’est, toute sa vie, passionné pour la nature, les limites, les possibles de la photographie. En témoigne sa collection personnelle, débutée il y a plus de 40 ans par échange avec ses pairs, et qui nous propose à travers près de 500 tirages, une sélection habile de ce qu'il considère comme les meilleures œuvres d'une large sélection de photographes renommés.

            Il disparait le jour de la mise en librairie par l’Atelier EXB de ce qui sera son dernier livre, Side Walk, qui regroupe ses photographies en couleur de New York, certaines célèbres mais beaucoup inédites. Un ouvrage qui démontre si besoin était son talent original de coloriste et illustre sa définition de la photographie : « Une bonne photo, c’est une photo que l’on ne peut pas refaire. Une photo doit être imprévisible et tout ce qu’il y a dedans doit être nécessaire ». 

                                                Christian Caujolle